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Correspondance dans le cyberespace


Une utopie mort-née

A l'origine, Internet est un réseau électronique de l'armée américaine mis en place par des chercheurs, qui développent le projet et s'en emparent. Protégés de toute concurrence, payés pour apprendre et bâtir, bénéficiant de la gratuité absolue des échanges, ces chercheurs introduisent sur Internet les règles et les valeurs de la communauté universitaire, permettant à d'autres pans de cette communauté d'accéder au réseau et de participer à son développement.

Avec la diffusion du réseau vers de plus larges couches de la population, la situation est bouleversée. On peut distinguer désormais deux grandes catégories d'utilisateurs. Pour des scientifiques, des architectes, des juristes, des analystes financiers, etc., utilisateurs du domaine de l'ingénierie de l'information, Internet est un outil extrêmement pratique. Pour le grand public consommateur d'information, Internet est une sorte de messagerie Minitel ou bien une nouvelle forme de zapping. Internet est devenu un immense réseau, ou l'offre commerciale va plus vite que la normalisation et ou la bataille pour le leadership a remplacé le processus d'émulation originel. Les cadres de la standardisation qui existaient dans la phase " projet " ont disparu avec la notion même de projet; et il est pratiquement impossible de résister à la vitesse d'innovation des firmes qui cherchent à imposer un standard.

Le " courrier en nombre " et ses obstacles majeurs les réseaux numériques établissent une continuité de support qui permet d'épargner les étapes de la retranscription et de l'acheminement Dans le mode d'échange électronique, une lettre d'une page et document extrêmement lourd comportant des fichiers ou des " pièces jointes " sont de même nature Mais les " pièces jointes ", ne peuvent être lues que si le destinataire dispose d'applications permettant de restituer à l'écran tous les éléments constitutifs.

Un document relevant d'une mise en page un tant soit peu complexe ne peut en effet être lu dans les conditions de sa maquette originale, sauf à posséder les nombreuses applications qu'elle implique (X-Press, typographies etc., ) Des solutions sont en train d'être trouvées Adobe, après avoir imposé le PostScript, langage de description de pages, s'attaque au format d'échange des documents qui intègrent de l'image Mais, là aussi, on rencontre des limites parce que ce sont des formats lourds, volumineux à transmettre, qui prennent du temps Ce sont encore des versions numériques de documents papier, pas des documents électroniques.

Le courrier électronique de base autrement dit l'équivalent de la lettre ordinaire sur papier, a été normalisé dès la création des premières applications sur Internet Une des premières pratiques au sein du réseau a été de fixer comme normes d'échange le plus petit commun dénominateur. Chacun étant libre de développer autour de cette norme fixée très bas des éléments complémentaires et de les confronter à l'épreuve des faits. Un mailing destiné à des récepteurs indifférenciés ne peut donc être réalisé qu'à travers du texte - et mieux vaut que ce soit du texte sans accents ! Les diacritiques ne sont en effet pas forcément restituées : dans le meilleur des cas, ils sont remplacés par des espaces, dans le pire, par des caractères biscornus rendant le décryptage difficile.

Il est recommandé et il est d'usage d'utiliser des polices à chasse fixe, de manière à faire un minimum de mise en page du type de celle des machines à écrire. Mais, étant donné que la largeur du paragraphe standard n'est plus la même sur toutes les machines, on est obligé de se restreindre au plus petit réglage communément utilisées, soit soixante-dix caractères. Il existe des normes d'échange permettant de mêler des caractères diacritiques, au moins pour les langues européennes. Il se trouve que les logiciels sur le marché domestique ne sont pas configurés pour cela. On touche ici à la question de la vaste bataille commerciale qui fait rage dans le domaine des logiciels.

En somme les envois en nombre se heurtent à l'obstacle des normes minimales puisqu'aucune règle n'est universellement appliquée pour les documents joints. Et si l'on veut s'échanger des documents plus structurés que du texte mis en page style machine à écrire, on doit savoir s'affranchir des codes de masse.

Vices et vertus de la poubelle

La mise à la poubelle forme un autre obstacle aux envois en nombre indifférenciés par courrier électronique, selon des techniques encore assez rudimentaires mais très efficaces. L'identité de l'expéditeur, par exemple, immédiatement repérable, permet une classification pour ce qui concerne tel sujet, tout ce qui contient tel mot, etc., peut être délibérément écarté. Des stratégies de contournement sont possibles, mais les sociétés qui travaillent au développement du courrier électronique vont proposer des techniques de tri encore plus affinées, qui deviendront un avantage comparatif dans la compétition qu' elles se livrent.

Ces techniques sont indispensables pour pouvoir exploiter des boîtes aux lettres électroniques qui subissent le contrecoup de la facilité et de la fluidité offertes par les nouvelles technologies. Grâce au réseau, il est encore possible de joindre des gens qui n'auraient pas répondu par ailleurs ou qu'on n'aurait même pas osé contacter autrement. Un étudiant, par exemple, peut ainsi s'adresser à un grand professeur à l'autre bout de la planète - personnalité injoignable par les voies ordinaires pour lui poser une question. Cela reste vrai tant que la pratique demeure limitée, le jour où des milliers d'étudiants chercheront à atteindre ce même professeur il mettra certainement en place une fausse boîte aux lettres électronique.

Une vraie distinction s'opère : un phénomène de différenciation entre l'échange de masse et l'échange facilité entre praticiens d'un même domaine Qui, sinon les experts, peut s'échanger du courrier selon les meilleures virtualité d'Internet ?

Le formulaire comme paradigme

Un formulaire administratif a priori est totalement déterminé par son émetteur dans son contenu et dans la fonction qu'il remplit et il ne fait que passer par son destinataire. Il serait évidemment bien plus simple que le destinataire remplisse directement le formulaire sans qu'on ait à lui envoyer Les technologies ont été développées dans ce sens notamment celle du World Wide Web qui est la grande vitrine de l'Internet et qui a été à la base de sa pénétration dans le public.

Le Web permet de faire de la mise en page, d'utiliser un certain nombre de fonctions interactives comme le choix dans un menu déroulant pour remplir un formulaire. Celui-ci peut être directement enregistré sur la base de données de l'émetteur - qui dispose du courrier électronique pour " appeler ", les récepteurs à se rendre sur son site y découvrir ledit formulaire et le remplir - la validation se faisant selon une autre forme d'échange électronique. L'information est directement déposée dans la base de données de l'administration concernée.

Dans les rapports commerciaux, les techniques du formulaire ont été encore plus développées à tel point que le formulaire a été distingué comme une sous-technologie en tant que telle. Dans ce domaine, la mort du support papier paraît inévitable même si des freins persistent, liés d'abord aux obstacles technologiques. La liberté qu'offrent les outils de mise en page n'est pas encore complètement employée, mais c'est une question de temps, les choses évoluant très rapidement.

La France, le ministère des Finances a ouvert un site récemment - selon une directive qui enjoint à tous les ministères de disposer désormais d'un site Web ou l'on peut simuler sa déclaration d'impôts en ligne, et bénéficier également d'informations sur les régimes fiscaux, les différentes exonérations, etc. Un atout supplémentaire est offert ainsi aux " privilégiés " du cyberespace.

Vers un renouvellement des formes ?

L'Internet des débuts était un univers d'ingénieurs et de scientifiques avec une esthétique qu'on pourrait qualifier de sommaire, pour ne pas dire kitsch ou " tartignole ". Le courrier électronique reste d'une grande pauvreté esthétique; les sites, par contre, bénéficient d'une richesse expressive incontestable : depuis un ou deux ans, apparaissent des identités visuelles construites à l'évidence par des professionnels.

Le Web connaît une phase d'" importation " des recherches graphiques expérimentées sur support papier. La mise en valeur, l'affinement qu'a connu le rapport texte-image depuis un siècle sont prolongés sur le support électronique, et le " retard " par rapport au papier est en train de se combler; restent à explorer des espaces de possibilités techniques, énormes et mal connus.

Les tentatives créatrices sur ce qui forme la spécificité des nouveaux réseaux sont encore limitées et difficiles à mettre en [oe]uvre. La fonction de l'animation - une tridimensionalité effective du rapport texte image - est encore réduite à de simples signaux, à des enchaînements, etc., et le réseau dispose depuis peu seulement du son en temps réel.

Dans certains cas, la publicité par exemple. L'image animée va prendre une place prépondérante. Mais les codes et les champs de recherche risquent de bouger énormément et il est difficile de présager de ce que sera l'avenir de telle ou telle pratique, qui peut aussi bien se révéler obsolète dans cinq ans.

Des garanties démocratiques

Internet n'engendre pas des différences nouvelles, même s'il peut creuser celles existantes, il ne crée pas de la nouveauté, il ne réunit que du semblable. Ce semblable est " simplement " en train de se donner la possibilité de s'affranchir des distances.

Si les réseaux électroniques risquent de développer des inégalités, c'est que celles-ci sont déjà criantes : quiconque peut se payer un conseiller fiscal sait que l'égalité devant l'impôt est purement formelle. La feuille d'impôts n'est que le reflet de la complexité du mode d'imposition et des choix politiques qui le soutiennent. Internet n'est pas destiné à résoudre des problèmes aussi complexes et fondamentalement politiques. A proprement parler, Internet n'a pas de mission On peut l'envisager comme une avancée ; on peut aussi considérer que la lutte contre l'illétrisme serait une meilleure garantie encore pour la démocratie.

Internet serait la voie royale a un savoir universel, mais la possibilité d'accéder à des informations n'enlève rien à la question de la recherche de l'information. Est-ce qu'Internet va changer le rapport des étudiants avec les bibliothèques ? Ou, a contrario, empirer les mauvaises habitudes qui consistent à surfer sur un océan d'informations sans rien comprendre ni connaître ?

La généralisation d'Internet n'est évidemment pas condamnable mais aucun de ses fervents partisans n'en a jamais parlé en termes de coûts réels et de priorités sociales. Il est dit, par contre, qu'Internet va permettre de lutter contre la désertification médicale. Celle-ci est la conséquence de ce que les économistes appellent la " désolvabilisation de la demande ", autrement dit la précarisation d'une partie de la société ; la baisse des revenus qui se généralise, remettant en cause le principe de l'accès à la santé pour tous. Dans ces conditions, Internet ne joue-t-il pas le rôle de l'emplâtre sur la jambe de bois ?

L'utilité publique

On peut parfaitement concevoir que les administrations publiques déplacent sur le réseau une partie des tâches de " récupération " de l'information (Les préinscriptions dans les universités se font déjà entièrement par Minitel). Les risques engendrés ne seront pas négligeables. Quelqu'un pourrait avoir accès à l'ensemble de l'information électronique en ligne nécessaire à remplir des formulaires... Les tentatives récentes d'interconnexion des fichiers administratifs grâce au numéro INSEE, rappellent que cette crainte n'est pas un fantasme. Surtout, dans le schéma de la réforme de l'administration de l'Etat, et de l'administration territoriale également, il y a une volonté très nette de réduire le personnel et d'obtenir des gains de productivité, dont les nouveaux réseaux seraient garants. Les gains de productivité observés dans les banques ces dernières années sont de même nature et parfaitement envisageables au sein d'administrations publiques.

Le démantèlement général des monopoles publics, et la remise en cause des financements croisés assurant les fameuses péréquations géographiques et sociales, trou vent souvent une prétendue justification dans la mise en place de ces nouveaux réseaux, définis comme " autoroutes de l'information ". C'est le cas précisément à La Poste, où le cadre du service public est remis en cause à tous les niveaux.

Les nouveaux réseaux touchent à une nouvelle dimension du service public qui jusqu'à présent n'était pas abordée: celle du service public en tant que fournisseur d'informations. Le dialogue entre le citoyen et l'administration ne se résume pas à la publicité que celle-ci fournit sur les modes de communication qu'elle a décrétés et qu'elle impose, dans la plus grande opacité, à la fois à ses fonctionnaires et aux citoyens ! Ce serait une manière de faire mordre la queue à la démocratie. La question de l'accès aux contenus, aux connaissances, aux données collectées au niveau public est posée à l'Etat. Ne pas y répondre est le corollaire du processus de démantèlement qui s'opère.

Avant que ne sévisse le bulldozer de la déréglementation, le débat a fait rage à France Télécom pour savoir si ce service public devait fournir du contenu. A partir du moment où il est démontré qu'un opérateur peut remplir sa mission de service public en développant des autoroutes de l'information destinées à tous, peut-il être également prestataire de services en terme de contenu ? La question du service public doit être désormais posée dans ce cadre élargi.

Asdrad Torres




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Dernière mise à jour : Jeu 13 juil 2000