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Nul ne connaît avec précision les sommes qu'il faudra investir pour faire surgir les autoroutes de l'information, mais une chose parait sûre : ce sera cher. Aux États-Unis, les prévisions oscillent entre 535 et 1600 milliards de francs (100 et 300 Md$). La fourchette est large, mais cela tient autant à l'incertitude sur les coûts qu'au niveau d'équipement envisagé. La fibre optique qui viendrait remplacer les lignes téléphoniques en cuivre peut s'arrêter au milieu de la zone pavillonnaire, au pied de l'immeuble, ou aller jusqu'à la prise murale de l'abonné. Or, en matière de télécommunication de masse comme de grande distribution, ce sont souvent les derniers mètres qui coûtent le plus. Toutes proportions gardées, ces données chiffrées sont dans le même ordre de grandeur que celles avancées à travers le monde. Le numéro un mondial des télécommunications, l'opérateur japonais NTT, entend de son côté dépenser 550 milliards de francs (10 000 milliards de yens) d'ici à 2015 pour le raccordement à haut débits de tous ses clients, y compris les particuliers. Selon certains experts il faudrait au minimum compter le double pour doter l'archipel de vraies autoroutes de l'information. Son de cloche identique sur le vieux continent en où "Livre blanc sur la croissance, la compétitivité et l'emploi" de la Commission européenne évalue à 990 milliards de francs (150 milliards d'Ecus) la somme à débourser en dix ans, tout en précisant qu'il n'y a pas de temps à perdre puisque 442 milliards devraient être affectés à des projets prioritaires dès les cinq prochaines années. Quant à l'hexagone, le rapport remis l'été dernier au premier ministre par Gérard Théry avance la somme de 150 à 200 milliards de francs sur vingt ans. À défaut de recouvrir des actions homogènes, en nature comme en durée, ces chiffres imposent la centaine Giga-franc (milliard de francs) comme étalon universel.
Que le contribuable ordinaire reste tétanisé devant une unité de mesure équivalant à des centaines de milliers d'années de salaire n'est pas fait pour surprendre. En revanche, l'accablement qui semble frapper des responsables politiques habitué à jongler avec des budgets astronomiques mérite un détour. La barre serait, entend-on ici et là, placée beaucoup trop haut pour des États endettés et ayant du mal à équilibrer leurs comptes. Reprenant à leur compte le credo libéral, ils préfèrent abandonner le terrain aux "forces du marché". Aux États-Unis, oubliant un peut vite les 38 Md$ que son père avait réussi à faire débourser par l'État fédéral entre 1959 et 1963 pour construire le réseaux autoroutier continental américain, le vice-président Albert Gore n'entend guère accompagner le "révolution des inforoutes" qu'à hauteur de 1,2 Md$ par an. Le document officiel qui a lancé la "National Information Infrastructure" (NII) annonce sans ambages que "le secteur privé pilotera le déploiement de la NII". Un serment que la Commission européenne, s'empresse de reprendre dans son livre blanc qui, décidément, est un accessoire de choix dans sa panoplie du parfait petit libéral. "La réalisation d'un espace commun d'information reposera principalement sur l'investissement des entreprises privées" prévient la Commission.
Ces mêmes entreprises ont beau rabâcher à qui veut l'entendre - et le répéter- que les nouveaux marchés ouverts par les inforoutes seront fabuleux, elles n'en sont pas convaincues au point de s'y aventurer sans filet. Comme préalable à leurs investissements elles exigent la déréglementation des secteurs traditionnels des télécoms et de l'audiovisuel. En Europe, l'objectif avoué n'est autre que de casser ce qui reste des monopoles des opérateurs nationaux de télécommunication. La Commission Européenne peut toujours annoncer qu'elle s'attachera autant à offrir aux entreprises privées un "environnement juridique qui favorisera l'investissement" qu'à "garantir la défense de l'intérêt général". Au moment des choix elle ne retient que le premier. Lorsque le Conseil Européen demande à Martin Bangemann, commissaire aux télécommunications, de réunir des spécialistes pour l'éclairer sur les choix stratégiques de l'Europe, l'ambiguïté est encore permise. La liste des membres de ce "groupe de haut niveau" la lève définitivement. On n'y dénombre que des présidents de grandes entreprises. Qui y défend l'intérêt général ? Étienne Davignon, à qui l'on doit, dans les années 70, le plan de démantèlement de la sidérurgie européenne de triste mémoire ? Michel Descarpentries qui prépare la dislocation et la vente par appartements de Bull ? Hans Olaf Henkel, président d'IBM Europe, qui exprime publiquement son attachement à la privatisation des entreprises publiques de télécommunication européennes et non à la construction de nouvelle infrastructures ?
Le plus navrant pour ce personnel politico-administratif transformé en force de vente des grandes compagnies est que l'argument économique qu'ils avancent ne tient pas route. L'exemple français, avec ses 150 à 200 MdF annoncés sur vingt ans, est particulièrement révélateur. Au cours des années 1985 à 1992, l'État a prélevé 120,7 MdF dans les caisses de France Telecom ce qui n'empêcha pas l'opérateur public d'investir 252,5 MdF sur la même période de sept ans. Un constat que Gérard Théry généralise en affirmant que "l'investissement est compatible avec les budgets des grands opérateurs."
Asdrad TORRES
Page réalisée par Asdrad TORRES
Dernière mise à jour : Jeu 13 juil 2000