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L'esprit d'ESPRIT


La présentation le 13 décembre 1994 du programme Information Technology (IT), quatrième édition du défunt Esprit, était marquée du double sceau de l'industrie et des applications. Il aura fallu dix années pour lever le voile sur le concept de recherche précompétitive qui devait être la grande innovation d'Esprit. En fait, IT marque l'aboutissement d'une évolution perceptible dès les débuts.

Certes, Esprit doit beaucoup au talent de négociateur du diplomate belge Étienne Davigon, chargé des questions industrielles à la Commission européenne entre 1977 et 1984, qui mis ce programme sur les rails. Mais son succès auprès des grands de l'industrie électronique tient surtout au fait qu'ils l'avaient eux-mêmes porté sur les fonds baptismaux. Ce furent, en effet, les représentants des "big twelve" (AEG, Bull, CGE, GEC, ICL, Nixdorf, Olivetti, Philips, Plessey, Siemens, Stet, Thomson ) qui en élaborèrent les grandes orientations. Les résultats industriels ne furent pas, pour autant, au rendez-vous. Évoquant le bilan d'Esprit I (1984-1987), Pierre Petit, Directeur de la coopération industrielle de Thomson en 1988, ramenait le milliard de francs annuel mis dans la balance par la Communauté à ses justes proportions, rappelant que sa compagnie investissait huit fois cette somme dans sa R&D. Malgré les discours mobilisateurs promettant de combler le fossé grandissant entre les besoins et les moyens de l'Europe, l'objectif était ailleurs, plus proportionné. En obligeant les candidats à réunir des participants de plusieurs pays, des contacts réels se sont noués entre chercheurs. A travers les projets retenus des réflexes de collaboration ont commencé à naître, une nouvelle catégorie de managers d'euro-projets s'est constituée.

Dès 1988, Esprit II (1988-1992) amorce le tournant vers le marché accompagné d'un doublement du budget qui atteint alors 11 milliards de francs. Cette année sera également celle de l'ouverture aux pays de l'AELE en prélude à l'extension de la notion d'industriel européen. Esprit II lance l'habitude, jamais démentie depuis, d'inaugurer de nouvelles formules de recherche à chaque lancement de programme. Ainsi naîtront les Technology Integration Projects, des projets d'ampleur, pouvant mobiliser jusqu'à 1000 hommes-ans et dont le pilotage effectif échoit naturellement aux plus grandes entreprises. Mais Esprit est définitivement sorti de la relative confidentialité des premiers jours. Le programme attire à lui près de 6000 chercheurs, 156 projets de recherche et développement sont sélectionnés et 55 projets de recherche fondamentale émerge de plus de 300 propositions.

Avec Esprit III (1990-1994), la réorientation vers les applications est largement amorcée. Signe des temps, la Direction Générale en charge des télécommunications (DGXIII), qui pilote jusqu'alors les programmes concernant les technologies de l'information, est évincée de ce poste au profit de celle qui s'occupe de l'industrie (DGIII). Par delà la mise au pas de la DGXIII, qualifiée d'état dans l'état, et de son bouillonnant directeur Michel Carpentier, le transfert de compétence est symbolique d'une volonté politique. Tout aussi symbolique est la recommandation du comité d'évaluation d'Esprit, Race et Drive qui suggère d'ouvrir définitivement les programmes communautaires aux sociétés à capitaux non européens qui produisent et conçoivent en Europe, à condition qu'elles s'engagent à valoriser sur place les produits de leur recherches. L'obligation de réciprocité dans l'ouverture des programmes de recherche n'est plus à l'ordre du jour. ICL est contrôlé par Fujitsu, Siemens s'est allié stratégiquement à IBM, la mondialisation frappe à la porte de l'Europe et celle-ci n'a toujours pas rattrapé son retard face aux géants américain et japonais.

1994, Esprit IV ne verra pas le jour. Les technologies de l'information ne sont plus le domaine réservé des informaticiens ni des téléphonistes. Elles sont devenues un enjeu stratégique pour l'industrie et la société dans leur ensemble. Le livre blanc de la Commission sur la compétitivité et l'emploi a fait son oeuvre : si l'Europe ne veut pas manquer son entrée dans la société de la communication, il lui faut impérativement accélérer la diffusion des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Les postulants au nouveau programme IT (1994-1998) sont avertis, " la qualité du business plan sera un critère de sélection". L'application opérationnelle, hier encore souhaitable, n'a pas eu le temps de devenir indispensable, qu'on la veut déjà rentable. Les poids lourds de l'électronique ne sont pas vraiment étrangers à cette perception d'une accélération impérative des débouchés. Le rapport intitulé "Europe and the global information society" a, en effet, dessiné le cadre stratégique de l'action communautaire. L'examen des signatures, vierges de toute mention professionnelle, ne manquera pas de faire sourire l'observateur averti qui y retrouvera les présidents d'Olivetti, Siemens-Nixdorf, ICL, Bull et de quelques autres dont IBM-Europe sans oublier l'incontournable Étienne Davignon. Preuve s'il en fallait, que dix ans plus tard, IT est le frère cadet d'Esprit et non un cousin éloigné.

Asdrad Torres




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Page réalisée par Asdrad TORRES
Dernière mise à jour : Jeu 13 juil 2000