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Faire évoluer le service universel


Interview de Gérard Théry (janvier 95)

On présente souvent les autoroutes de l'information comme une affaire de techniciens et d'hommes d'affaires. Tout en argumentant sur ces deux terrains, pourquoi insistez-vous particulièrement sur la liaison entre l'émergence de ces nouvelles technologies et l'extension de la mission de service public rendue par les télécoms ?

Je ne suis pas seul à mettre en avant l'obligation de service universel, qui me semble incontournable. C'était bien, je crois, dans l'esprit des premières déclarations du vice-président américain Al Gore lorsqu'il a fait mention des autoroutes de l'information. Si nous acceptons le fait que celles-ci constituent bien un enjeu de connaissances et de progrès, alors la nouvelle chaîne de communication à haut débit donnant accès au multimédia ne peut pas ne pas être mise à la disposition de tous.

Qu'entendez-vous exactement par "mise à la disposition" ?

Faisons un parallèle avec le téléphone. On n'imaginerait pas que le téléphone ne soit pas mis à la disposition de tout le monde. Pourtant l'accès au téléphone n'est pas gratuit, pas plus que la communication, sauf dans des cas tout à fait exceptionnels. La mise à la disposition de tous a été possible grâce à des prix d'accès relativement bas et à la fourniture d'un poste téléphonique de base. Il est bien clair que ça ne veut pas dire que Monsieur tout le monde est équipé d'un appareil haut de gamme.

C'est donc la même politique qui a été appliquée lorsqu'il s'est agi d'étendre le service universel du téléphone vers la télématique.

Effectivement, avec toutefois une question qui demeure. On peut très bien imaginer que l'accès au Minitel soit possible pour tous sans qu'il y ait obligatoirement gratuité.

Pourtant les spécialistes ont l'habitude de dire que le décollage du minitel doit beaucoup à la gratuité du terminal, du moins au début.

Absolument, mais je crois qu'il serait erroné de penser que les notions de service universel et de gratuité sont équivalentes. Dans les faits, le Minitel n'est pas plus gratuit que le terminal téléphonique, même le plus bas de gamme. On paie une taxe de raccordement , une location, un abonnement...

Lorsqu'on passe aux chapitres des applications, on retrouve le même schéma. L'annuaire électronique, qui est de très loin le service Minitel le plus utilisé, est également gratuit. Qu'en sera-t-il avec l'extension du service universel vers le multimédia ?

Il faut comparer ce qui est comparable. L'annuaire électronique est gratuit parce que l'annuaire papier l'est. Sur les autoroutes de l'information, il faudra distinguer, d'un côté l'accès à des bases de données multimédia, et de l'autre le visiophone. Le visiophone ce n'est qu'un téléphone avec images animées. Le multimédia, c'est une sorte de super minitel parlant, instantané, avec images animées en couleurs.

Dans le multimédia, il y a des quantités de services qui ne peuvent pas ne pas être marchands. C'est le cas des transactions normales entre des individus et des groupes économiques ou des associations qui vendent des informations. Le cas le plus classique est celui d'une personne qui interroge la base de données multimédia de son quotidien habituel. Elle peut souhaiter avoir des informations développées sur un événement dont elle a lu un compte rendu sommaire dans les colonnes du journal. On cite volontiers l'exemple du match de football amateur dont on pourrait voir des extraits. Il s'agit alors d'informations payantes.

Certes, mais nous sommes loin du domaine du service universel...

Ce domaine concerne à mon avis tout ce qui touche à des missions très clairement recensées comme relevant de l'intérêt général : l'éducation, la formation, la santé, et l'information du citoyen. C'est là que des problèmes se posent. Je ne veux pas anticiper sur ce que décideront le parlement, ni l'État qui aura la charge d'appliquer les lois, mais on peut toutefois imaginer des pistes. Prenons le cas de l'éducation, un premier débat intervient pour savoir dans quelle mesure les outils du multimédia, c'est à dire les autoroutes de l'information, servent la fonction d'enseigner et ses finalités. Je dirais plus encore les finalités que la fonction . La parole appartient alors à ceux qui ont pour vocation d'enseigner et de former. Leur participation est indispensable. S'ils établissent que le multimédia permet d'enseigner, de former plus vite et mieux, il est tout a fait clair que cela entrera dans ce que j'appelle les missions d'intérêt général. C'est un débat qui a déjà eu lieu à propos de la chaîne de la formation. Chacun peut s'y brancher gratuitement pour recevoir un cours de gestion, d'anglais, de mathématiques ou accroître sa culture générale.

Dans la santé, les nouvelles technologies de communication apportent un avantage tout à fait essentiel, mais on retrouve le même questionnement et les mêmes limites qu'à propos de l'enseignement et de la formation. Il est certain que les autoroutes de l'information ne vont pas soigner les gens. Il faut des médecins, des experts, et toute une série de professionnels de la santé qui soient réellement compétents. Le multimédia donne accès à des informations plus riches, plus nombreuses, plus "productives" et sûrement plus intelligentes. Il ne supprime pas le contact humain, il ne le remplace pas, c'est un problème fondamental de déontologie. On n'automatise pas une relation humaine.

Un autre domaine d'intérêt général extrêmement important concerne l'accès à l'information administrative. Je vais prendre un problème banal dont je me suis occupé récemment. Une vieille dame voulait changer sa carte grise qui était au nom de son mari décédé. J'ai appelé la préfecture du département où était immatriculé la voiture et j'ai eu un répondeur vocal au bout du fil. Si je répondais non, le système passait à la question suivante, et si je répondais oui, il répondait à ma question. J'ai constaté que c'était un système intelligent, bien fait d'ailleurs, mais assez guindé : le dialogue ressemblait à un gymkhana vocal. Je crois que le multimédia apporterait des solutions certainement plus attrayantes en permettant plus facilement de répondre à toutes les questions qui peuvent être posées. Pourquoi ? Parce que le maniement de l'interactivité est relativement facile, le minitel l'a montré.

Le patrimoine culturel, scientifique et technique se trouve à cheval sur la formation, l'éducation et l'information qui est la propriété des institutions publiques. Il est le plus souvent enfermé dans les réserves des musées nationaux, dans les bibliothèques publiques, les centres de documentation d'organismes d'État... L'accès libre à ce bien public à travers les autoroutes de l'information ne serait-il pas une extension logique du service universel ?

La réponse mérite un tout petit examen préalable. Au fond comment fonctionne l'accès à une grande bibliothèque ou aux collections d'un musée qui ne sont pas exposées ? Il est soumis à une autorisation préalable, mais les étudiants, les professeurs, les chercheurs qui font des travaux ont un accès tout à fait libre à ces ouvrages. Prenez l'exemple des réserves du musée du Louvre : il est matériellement impossible d'autoriser des millions de personnes à les visiter. C'est à ce stade que les nouveaux outils de la communication interviennent. Ils ouvrent l'accès à ces ressources rares pour un beaucoup plus grand nombre. Il faut néanmoins bien analyser les choses parce que ces nouveaux outils de la communication ont un coût, et distinguer les différents cas : ceux où les besoins sont individuels, et ceux dans lesquels il y a une utilité collective à faciliter l'accès à ces informations et, par conséquent, on peut imaginer que l'information ne soit pas payée à son coût réel.

Ainsi, il est tout à fait raisonnable de penser qu'un étudiant en droit à Montauban ait la possibilité de consulter par multimédia la bibliothèque Cujas située à Paris, parce qu'elle détient des ouvrages rares dans sa spécialité. On peut imaginer qu'il y ait des terminaux accessibles aux étudiants dans des locaux de la faculté. Envisageons maintenant le cas d'un particulier qui cherche une information de nature juridique; Il a parfaitement le droit d'interroger la bibliothèque Cujas, mais il va mobiliser des ressources, des outils de communication qui ne sont pas gratuits, il va donc payer pour accéder aux informations. On imagine sans peine la difficulté de la tâche pour le législateur puisque la nature de l'information ne permet pas toujours de séparer l'intérêt général de l'intérêt particulier.

Propos recueillis par Asdrad TORRES




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Dernière mise à jour : Jeu 13 juil 2000